Definition de la BD - Chapitre 1 (sur 5)

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lokorst
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Definition de la BD - Chapitre 1 (sur 5)

#1 Message par lokorst »

Petite définition de la bande dessinée

Le terme de « bande dessinée » est l’héritage de la forme première qu’a revêtue ce moyen d’expression : une succession d’images (trois ou quatre dans la majorité des cas) disposées les unes à côté des autres, en bande, formant un court récit en images. Ces « bandes » ont, dès leur apparition en 1833 sous la plume de Töpffer, associé le texte et l’image. Au début, on pouvait lire ce texte, très littéraire, en dessous de l’image, puis, par la suite, à la fin du XIXème, dans des bulles donnant la parole aux personnages.

Du mélange de différentes matières de l’expression peut résulter une multitude de médiums. Pour pouvoir parler de la bande dessinée en incluant toutes ses formes, sans pour autant intégrer des procédés qui lui sont proches (le roman photo par exemple), il est important de s’éloigner des idées répandues. L’un des poncifs concernant la bande dessinée est le rapport hiérarchique longtemps instauré quant à l’importance du texte vis-à-vis de l’image et l’obligation de la co-existence entre ces deux matières de l’expression. Il est important, comme le rappelle Groensteen (1) , de s’accorder sur le fait que, dans la bande-dessinée, l’image prédomine sur le texte, ce dernier n’étant que facultatif, l’image pouvant à elle seule raconter une histoire. Les bandes dessinées « muettes » sont en effet courantes (2). Il faut également contredire l’idée qu’énonce (et que dénonce Groensteen) qui veut que la langue soit « le seul modèle d’un système qui soit sémiotique à la fois dans sa structure formelle et dans son fonctionnement »(3) et que par conséquent l’image ne serait pas porteuse de signe, qu’elle ne peut pas être narrative. Cette critique de la bande dessinée, résultant en partie de la sacralisation de l’écrit aux dépens des arts graphiques, a longtemps abouti à une dévalorisation de ce mode d’expression. Mais l’image (ou bien l’iconique) peut être porteuse de sens comme l’évoque une nouvelle fois Groensteen :

« Considérer que la bande dessinée est essentiellement le lieu d’une confrontation entre le verbal et l’iconique est (...) une contre-vérité théorique (...). [La prédominance de l’image] au sein du système tient à ce que l’essentiel de la production s’effectue à travers elle. » (4)

Le support narratif principal de la bande dessinée est bien l’image, le texte, bien souvent une représentation du verbal comme le souligne Groensteen (les bulles étant une transcription de la parole), étant théoriquement secondaire. Mais l’image ne peut être réellement source d’un récit - et c’est l’une des clefs de voûte de la bande dessinée - que dans une combinaison : il ne peut y avoir de bande dessinée qu’à partir du moment ou au moins deux images sont placées ensemble. Il faut comme pour tout récit une transformation qui oblige à cette multiplicité des images, c’est ce que l’on appelle la séquentialisation. C’est ce que nous démontre Scott McCloud, dans L’art invisible (5), qui apporte cette définition à la bande dessinée - « Images picturales et autres, volontairement juxtaposées en séquences , destinées à transmettre des informations et/ou à provoquer une réaction esthétique chez le lecteur » (6) - relativement conforme à celle avancée par Groensteen :

« (...) (I)l faut reconnaître comme unique fondement ontologique de la bande dessinée la mise en relation d’une pluralité d’images solidaires. (...) (L)eur commun dénominateur et, partant, l’élément central de toute bande dessinée, le critère premier dans l’ordre fondationnel, est bien la solidarité iconique. On définira comme solidaires les images qui, participant d’une suite, présentent la double caractéristique d’être séparées (...) et d’être plastiquement et sémantiquement surdéterminées par le fait même de leur coexistence in praesentia. » (7)

On peut voir que l’élément de base d’une définition de la bande dessinée est cette « solidarité iconique », impliquant un lien entre différentes images, qu’évoque également McCloud avec ses images « juxtaposées en séquence ». Mais l’origine de la bande dessinée, en fonction de ces définitions, n’est pas celle que retient l’histoire. On admet en effet couramment, dans l’optique d’une origine européenne de la bande dessinée, que Rodolphe Töpffer avec ses Récits à Estampes est le précurseur du genre (son travail entrant complètement dans le cadre des définitions modernes). Cette origine de la bande dessinée donnerait à ce moyen d’expression 170 ans d’histoire, les premières planches de Töpffer datant de 1833. Si on lui a donné l’honneur d’être le premier auteur de bande dessinée, c’est principalement parce qu’il est le premier à avoir théorisé ses travaux et notamment en ce qui concerne la mixité entre texte et image qu’impliquent ses planches (8). De même, les anglo-saxons ont longtemps désigné l’origine de la bande dessinée comme étant l’apparition des bulles (les phylactères) dans le Yellow Kid de Richard Fenton Outcault, dessinateur vedette des suppléments hebdomadaires du New York World, en 1895. Et même si ces origines ne sont pas contestées, les définitions modernes fondées sur la mise en séquence d’images peuvent parfaitement s’appliquer à des oeuvres bien plus anciennes telles que des récits épiques en images précolombiens, les fresques égyptiennes, la tapisserie de Bayeux ou même certaines peintures rupestres qui, en quelques « dessins », racontent une histoire. Autant dire que l’histoire de la bande dessinée est vaste et que ses ancêtres sont des plus nombreux. Mais le mot d’ordre reste néanmoins la séquentialisation de figures iconiques, ce qui entre pleinement dans l’idée de Will Eisner lorsqu’il nomme la bande dessinée « art séquentiel »(9). C’est là l’élément principal d’une définition de la bande dessinée, mais comme beaucoup d’arts, elle dispose d’une multitude d’outils qui peuvent lui faire revêtir de nombreuses formes. La bande dessinée n’est pas homogène, elle est composée de nombreux groupes qui se caractérisent par un type de graphisme, ou plus souvent de production. Mais chacun de ces groupes, qu’il soit appelé « Franco-belge », « manga » ou « comics » pour ne citer que les plus connus, est à lui seul une nébuleuse de genres scénaristiques, de styles graphiques ou d’univers narratifs.


(1) Voir Thierry, Groensteen, Système de la bande dessinée, 1999, P.U.F., collections Formes Sémiotiques, p.3.
(2) Pour citer un exemple tiré de la bande dessinée américaine, on peut évoquer le mois « Nuff’said », chez Marvel, qui a vu, en février 2002, toutes les séries de l’éditeur raconter des histoires dénuées de textes.
(3) Benveniste, « Sémiologie de la langue », Sémiotica I,2, La Haye, Mouton & Co, 1969, p.132.
(4) Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, 1999, P.U.F., collections Formes Sémiotiques, p.10.
(5) Scott McCloud, L’art invisible, 1999, Vertige Graphic pour l’édition française de cet essai sur la bande dessinée en bande dessinée !
(6) Ibid
(7) Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, 1999, P.U.F., collections Formes Sémiotiques, p.21.
(8) Voir Töpffer, L’invention de la bande dessinée, textes réunis et commentés par Thierry Groensteen et Benoît Peeters, 1994, Hermann, Collection savoir : sur l’art.
(9) Voir Will Eisner, La Bande dessinée, art séquentiel, 1997, Vertige Graphic.

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